samedi 29 décembre 2012

De corps et d’esprit, retour succinct sur le cinéma de Robert Zemeckis

Tout avait si bien commencé. Roger Rabbit s’était vu confier la mission de surveiller Bébé en l’absence de Maman, une mission des plus simples en somme. Mais Bébé voulait un cookie. L’ami Roger s’embarquait illico presto dans des cabrioles cartoonesques pour sauver Bébé des périls de la cuisine moderne jusqu’à ce qu’un réfrigérateur lui tombe dessus et que des gentils oiseaux gazouillent autour de sa caboche. C’est alors qu’au milieu de ce paisible dessin animé surgissait un homme, de chair et d’os, vociférant des directives à l’encontre du lapin incapable de produire les bons effets d’étourdissement après avoir reçu le frigo sur la tête. L’animation rencontrait le monde « live ». L’âme croisait le corps, le virtuel se liait au réel. 


Au début de Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, le lapin traverse une crise sentimentale, craignant que sa femme (la plantureuse Jessica) ne le trompe. Incapable de se concentrer, le personnage star est à la dérive. Ce n’est d’ailleurs pas la seule crise qui rôde dans le film. Le monde d’Hollywood, où cohabitent humains et Looney Toons, risque d’éclater; l’entente ne paraît plus si évidente, d’autant qu'un juge aux allures de Gestapo ayant trouvé une potion capable de détruire les personnages animés (la Trempette) menace de répandre son autorité sur le système. Le monde dans lequel opère Eddie Valiant, le détective privé,  se présente donc comme donc troublé. Valiant est lui-même en crise, après avoir perdu son frère tué par un Looney Toons, et ne s’en remet pas vraiment, noyant sa rancœur dans l’alcool. A travers l’enquête policière, Zemeckis s’efforce de résoudre ces diverses crises pour retrouver l’harmonie propre au monde des dessins animés, comme en témoigne le final musical. Il est intéressant de remarquer que, même hors du récit, le film surgit dans une période de crise. Dans les années 1980, l’animation traditionnelle ne fait plus autant recette que par le passé (c’est l’époque du désastre de Taram et le chaudron magique). Le Hollywood des studios se trouve en pleine mutation, tandis que les technologies de tournage commencent à évoluer. Qui veut la peau de Roger Rabbit ? marque également un tournant dans la filmographie de Robert Zemeckis : si le réalisateur avait déjà rencontré le succès avec A la poursuite du diamant vert et Retour vers le futur (ainsi que quelques récompenses), Qui veut la peau de Roger Rabbit ? affirme l’une des principales pistes de réflexion de son œuvre, avec cette jonction entre l’esprit et le corps, le virtuel et le réel.

La carrière de Robert Zemeckis pourrait se diviser en quatre, voire cinq périodes, dessinant une cohérence indéniable dans son œuvre, à la fois dans les réflexions sur le temps long qu’il développe, mais également dans les orientations plus spécifiques qu’il prend pratiquement à chaque décennie. Le temps du tâtonnement pourrait correspondre à ses trois premiers longs métrages. Cette période relativement difficile, où convaincre les studios de développer ses projets n’est pas si évident même avec le soutien de Steven Spielberg, propose trois comédies à la tonalité variée : une teen comedy sur fond de Beatlemania (I Wanna Hold Your Hand - Crazy Day en VF), une comédie sociale sur fond d’idéalisme idéologique (Used Cars - La Grosse Magouille en VF) et une comédie d’aventure au cœur de l’Amazonie (Romancing the Stone - A la poursuite du diamant vert).

Crazy Day

Nous sommes au milieu des années 1980, Zemeckis se lance alors dans sa phase comédie familiale décalée. C’est l’apogée : la trilogie Retour vers le futur (Back to the Future) devient vite un objet culte, et aura droit par la suite à une série animée. Au milieu de ces trois opus, Zemeckis signe donc l’un des films les plus ambitieux de sa carrière, un mélange d’animation classique et de prises de vue réelle autour du Hollywood des années 1940 : Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (Who framed Roger Rabbit ) constitue un pied de nez autant qu’un hommage au cinéma traditionnel dans une période où Disney peine à retrouver le succès. Le film récolte de bonnes critiques, cartonne au box-office  et reçoit 3 Oscars techniques.

Retour vers le futur

La troisième partie de sa carrière voit le cinéma de Zemeckis devenir plus adulte. La comédie y prend des tournures moins évidentes, l’homme signe même un pur film de frisson (What Lies Beneath = Apparences en VF). C’est l’époque du loufoque et jouissif La Mort vous va si bien (She Becomes Death), un an après La Famille Addams de Barry Sonnenfeld. Bruce Willis, Meryl Streep et Goldie Hawn tentent le ménage à trois pour l’éternité avec tout ce que cela exige de compromis et de sacrifices. Et puis survient Forrest Gump, le film aux 6 Oscars (dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur). Tom Hanks se repaît de chocolats tout en traversant un demi-siècle d’histoire américaine. La féérie est toujours de mise, mais de façon plus désenchantée. S’ensuit Contact en 1997 où Jodie Foster tente de nouer un lien avec les petits hommes verts. Film mystique à souhait, Contact connaît un succès relatif. Zemeckis achève cette période en réalisant de façon quasiment simultanée Apparences, film de fantômes intimiste, et Seul au monde (Cast Away), libre relecture de Robinson Crusoé où Tom Hanks fait ami-ami avec un ballon nommé Wilson (sans doute l’une des rares fois au cinéma où la relation entre un objet inanimé et un acteur se fait si émouvante).

Contact

Qu’il ne trouve plus de scénario qui lui convienne ou qu’il préfère explorer pleinement les innovations techniques, Robert Zemeckis consacre en tout cas la décennie 2000 à l’animation avec trois films qui connaissent un succès aléatoire, tant sur le plan critique que public : Le Pôle Express (The Polar Express), La Légende de Beowulf (Beowulf) et Le Drôle de Noël de Scrooge (A Christmas Carol). La motion capture est portée à son summum. Ses deux films de Noël, thématiquement proches mais différents dans le traitement, sonnent comme un retour aux sources de l’enfance, autant que comme un hommage à un cinéma généreux qu’il affectionne. Entre les deux, l’épopée héroïco-fantaisiste de Beowulf offre plusieurs séquences d’un réalisme sublime. Cette période particulière confirme une évidence : Zemeckis aura influencé par son alliance du virtuel et du réel les plus grands noms de l’Entertainment contemporain, à commencer par James Cameron - qui doit une fière chandelle au papa de Roger Rabbit sans qui, d’une certaine manière, Avatar n’aurait pas nécessairement vu le jour - David Fincher ou même Steven Spielberg (dont le Tintin est entièrement réalisé en motion capture). Il est encore tôt pour clairement identifier ce dont sera fait la nouvelle phase filmographique du cinéaste, mais Flight (qui sortira le 13 février 2013) propose une surprenante tragédie intime, aussi mortifère qu'hallucinée.

Le Pôle Express
La Légende de Beowulf
La filmographie de Zemeckis se présente à la fois comme éclectique dans la forme et parfaitement cohérente dans les thèmes abordés, à commencer par cette cohabitation du corps et de l’esprit qui occupe le cœur de la plupart de ses films.

La présence fantomatique se révèle sous trois grandes figures à travers l’œuvre du cinéaste.
Elle apparaît tout d’abord sous la forme de l’esprit d’un défunt qui rôde, lance et nourrit l’action du film. Used Cars démarre par la mort du propriétaire d’un garage de voitures, Roger Rabbit par la mort d’un producteur et père fondateur de Toonville. A la poursuite du diamant vert a lieu après la disparition (cette fois un kidnapping) de la sœur de l’héroïne. La Mort vous va si bien voit des morts revenir à la vie. L’une des motivations du personnage de Contact est la mort de ses parents. Forrest Gump voit lui son chemin jalonné de décès qui viennent modifier sa trajectoire. Apparences plante sa trame sur la disparition d’une jeune femme. Seul au monde montre la mort de l’équipage d’un avion à l’exception du héros, qui subira également la disparition de son compagnon de fortune (Wilson le ballon qui s’éloigne dans les eaux sans espoir de retour). Même Flight s’amorce par l’accident d’un avion où périssent une partie des passagers. Lorsque ce n’est pas l’esprit d’une personne, c’est souvent l’esprit du passé qui vient hanter et troubler la vie des héros de Zemeckis. Les Retour vers le Futur se construisent sur des erreurs commises dans le passé qu’il convient de corriger (tout comme le fait Forrest Gump de façon symbolique). Le Drôle de Noël de Scrooge voit ressurgir dans l’existence égoïste et désabusée du vieil homme les fantômes de Noël. Ces émanations du passé sont autant de passages dans des entre-mondes plus ou moins merveilleux. Or cette figure du passage revient dans quasiment tous les films du réalisateur, que ce soit les passages temporels dans Retour vers le futur, le passage dans le monde des Looney Toons pour Roger Rabbit, les vols d’avions pour Seul au monde et Flight, les plongées dans les profondeurs aquatiques (ainsi que le pont) dans Apparences, les vortex dans Contact, le train de Pôle Express, les transitions hallucinées de Scrooge pour passer d’un univers à l’autre. A chaque fois, c’est autant un passage vers l’imaginaire qu’une aspiration à l’éternité du monde qui se dessine à travers les œuvres de Zemeckis.

Le Drôle Noël de Scrooge
Le cinéaste consacre justement un film entier à la distinction entre immortalité et éternité. La Mort vous va si bien rattache l’esprit au corps jusqu’à la dégénérescence ultime. Alors que le personnage incarné par Bruce Willis (dans un rôle à contre-emploi) choisit la vie terrestre pour accéder au salut de son âme, ses deux amantes pourchassent la jeunesse et se perdent dans un corps à jamais jeune, mais mortifère, qui se brise sur les marches d’une église en fin de course. Le quête du fantôme n’est jamais loin et passe enfin par l’être virtuel qui rôde dans chacun des films de Zemeckis. Le numérique (dans lequel j’englobe pour plus de commodité les effets spéciaux de ses premiers films qui ne sont pas forcément numériques) est abordé dans son œuvre à la fois comme un outil discret pour raconter une histoire (voir par exemple la scène de rajeunissement face au miroir de Meryl Streep dans La Mort vous va si bien) et comme un élément participatif du film dont il enrichit le sens. Dans Roger Rabbit, il assume le décalage technique et joue avec, non pas pour intégrer des personnes animées dans le monde réel mais pour construire un univers où cohabitent les deux mondes. Zemeckis éprouve depuis l’origine une vraie fascination pour la technique lorsque celle-ci aide à la narration. Cette fascination s’est révélée dans les trois films animés des années 2000 où le cinéaste s’est évertué à construire une imagerie troublante entre le réel et le virtuel, ouvrant la voie à des films comme Avatar ou Tintin. Mais c’est également dans l’irruption du virtuel au sein des films plus traditionnels que se dévoile cette attraction pour le numérique. Forest Gump avait été salué pour la façon dont Zemeckis intégrait son héros dans des images d’archives, rendant d’autant plus crédible sa trajectoire et ses tentatives de réconcilier l’Amérique avec son histoire récente. Dans Apparences, le numérique vient servir de façon nuancée les visions fantomatiques. Dans Flight, la technologie permet de réaliser avec intensité une impressionnante séquence de crash d’avion. L’esprit n’est cependant jamais loin du corps, l’aspiration à un monde idéel n’oubliant jamais ce qu’il doit au monde réel et concret.

La Mort vous va si bien
Le corps est de tous les instants dans le cinéma de Zemeckis. Si son travail numérique a eu une influence essentielle dans les années 2000, c’est qu’il pousse à l’extrême le principe de motion capture. Il ne crée un monde numérique qu’en tirant partie au maximum des êtres de chair. Tom Hanks ou Jim Carrey donnent leurs traits aux personnages de Scrooge ou du Pôle Express. Ces deux films, plus ou moins destiné aux enfants malgré la noirceur de certaines séquences, partent volontairement du réel pour revenir vers le merveilleux, grossissant certains traits pour rester dans l’univers du conte. A l’inverse, La Légende de Beowulf, qui part d’un principe semblable, force davantage la volonté d’incarnation des personnages, l’esprit se faisant chair d’une façon presque palpable. Même dans Roger Rabbit, où se côtoient sans vergogne l’animation et les acteurs de chair, le corps vient s’imbriquer dans l’âme. Les Toons, présupposés immortels, sont menacés de mort grâce à la « Trempette », cette potion ressemblant à de l’acide capable de les dissoudre et de les réduire à néant. La « Trempette » une création du monde réel qui vient renouer le lien entre les Toons et les humains, car ils deviennent subitement mortels parmi les mortels. Cette destruction du monde - et la crise qui en découle - se trouve au cœur de Roger Rabbit, le plan machiavélique consistant autant à éradiquer Toonville qu’à mettre fin au studio Hollywoodien (et donc à la boîte à rêves). C’est en cela que Roger Rabbit, dans la filmographie de Zemeckis, est sans doute le plus bel hymne d’amour au Septième Art comme source de féérie et potentiel de l’impossible enfin réalisé. Zemeckis y embrasse le polar, le récit initiatique, le conte, la science fiction, le burlesque (dont cette scène géniale où Eddie Valiant s’efforce de faire littéralement mourir de rire les hyènes du juge). Il fait en un film ce qu’il avait effleuré dans sa trilogie Retour vers le futur, qui joue de son côté sur quatre époques d’histoire différentes.


Le cinéaste aime en effet se promener parmi les époques et bondir d’une période à l’autre avec aisance (voir les sauts de 7 années qu’il effectue dans La Mort vous va si bien ou dans Le Drôle de Noël de Monsieur Scrooge). Encore une fois c’est parce que le corps est pris dans le temps, parce que nous le subissons au jour le jour malgré nos tentatives pour en maîtriser le déroulé que Zemeckis se passionne pour cette matière dont seule la magie du cinéma permet d'explorer les ressorts. Dans Contact, il ne s’agit plus de bonds dans le temps, mais d’élargissement et de rétrécissement temporel. Alors que Jodie Foster passe la totalité du film à tenter d’entrer en contact avec une forme de vie différente, la rencontre finale se révèle à la fois fulgurante et intemporelle, comme un rêve éveillé dont elle seule pourrait faire l’expérience. Si ce n’était la dizaine d’heures de neige enregistrées sur la caméra, tout pourrait laisser penser que la malheureuse n’a que fantasmé son voyage au sein du cosmos. Ce ne serait pas la première fois d’ailleurs que le fantasme prend forme sous l’œil de Zemeckis. Dans Roger Rabbit, il prend les traits du fantasme sexuel avec l’irruption sur scène de Jessica, poupée gonflable crayonnée qui excite pourtant le public. Dans La Légende de Beowulf, elle prend la forme d’une femme aussi monstrueuse que sensuelle sous la silhouette d’Angelina Jolie. Le fantasme prenant forme correspondait également à la quête des Beatles dans I wanna Hold Your hand, son premier long métrage. Le fantasme tient ainsi un rôle particulier dans la filmographie de Zemeckis puisqu’il réunit dans un même mouvement l’idée (l’animus) et le corps (l’expérience du fantasme ne pouvant passer que par le corps).


Robert Zemeckis a donc su tisser une œuvre riche, diverse et pourtant terriblement cohérente. Parfois moins candide dans son cinéma que peut l’être par exemple Steven Spielberg, Zemeckis parvient à arpenter sur son chemin le fol espoir des contes enfantins et l’angoisse ravageuse du monde adulte, à les réconcilier pour en tirer des films divertissants et emplis de songes à méditer. La noirceur de la mort côtoie la joie de vivre du lapin blanc dans Roger Rabbit où rien n’est vraiment ce qu’il paraît. Le poupard se révèle un fieffé pervers, la séductrice pulpeuse n’est autre qu’une épouse attentionnée, le juge monstrueux de froideur et de contenance se transforme en Toon hystérique, le détective aigri en show man de comédie musicale. Lorsque le rideau tombe et que le cercle de couleur se referme doucement sur les amis animés, l’un des personnages s’échine à demeurer dans la lumière, à rester avec le spectateur, comme une part du film qui se prolongerait dans la mémoire. Robert Zemeckis aura su, en une quinzaine de longs métrages, laisser le spectateur s’approprier ses mondes pour y trouver un passage entre le virtuel et le réel, le corps et l’esprit, le prosaïque et le rêve, synthèse d’un septième art en harmonie.    

Emeric


dimanche 25 novembre 2012

La Nana, de Sebastian Silva


Il m’aura fallu trois ans avant d’oser visionner La Nana de Sebastian Silva. Mon petit monde de cinéma, je dois bien le confesser, est occasionnellement peuplé de préjugés et de craintes à l’égard d’un certain cinéma d’auteur mondial qui rôde dans les festivals et dont un public indéfini semble être friand. Trois années et la nécessité de réfléchir à des films de tous horizons abordant la crise d’un personnage plus loin, je découvrais La Nana en juillet dernier. Pour ma défense, j’avais déjà eu le plaisir de voir Les Vieux Chats un an auparavant, le troisième film de Sebastian Silva et mes préjugés avaient très fortement diminué depuis. A dire vrai, La Nana est un film plaisant et lumineux qui évite le côté moralisateur et les incartades sinistres dans l’intimité sombre de ses personnages pour privilégier un récit alerte et plein d’humour qui aborde différents thèmes politiques et sociaux de poids. 




Pour écrire le récit de cette « nounou » en proie au doute, lorsque la famille pour laquelle elle officie depuis plus de vingt ans lui propose d’engager une aide supplémentaire, Sebastian Silva n’a pas eu à trop se creuser la tête. Le jeune cinéaste, chanteur, photographe parmi ses multiples talents, a connu les « nounous » dans sa jeunesse et en a été quelque peu traumatisé.

« C’est quelque chose qui est dans un coin de ma tête depuis mon adolescence. J’ai déjà réalisé un court métrage et un album-photo sur ce sujet. Tout cela parce que j’ai été élevé et entouré par des bonnes. Il y en avait toujours une ou deux qui vivaient dans la maison familiale. Vivre avec elles, 24 heures sur 24, marque votre existence. » « Elles vivent avec vous, mais ne partagent pas certains aspects de votre vie comme les repas ou les vacances. Elles forment une sorte de troisième figure d’autorité dans la famille. »


Sebastian Silva garde cette histoire de côté pour la laisser mûrir et réalise un premier film en 2007, La Vida Me Mata autour d’un jeune garçon meurtri par la mort de son frère dont il peine à faire le deuil. Avec ces quelques années de recul, Sebastian Silva se lance dans La Nana avec nuance, déterminé à explorer la psychologie de son personnage davantage qu’à dresser un pamphlet politique sur la lutte des classes (s’éloignant de la sorte de certains illustres modèles comme La Cérémonie de Claude Chabrol). L’économie modeste du tournage permet à Silva d’opter pour un dispositif intimiste. Muni d’une petite caméra HDV (avouant qu’avec un plus gros budget il aurait tourné en 16 millimètres), Sebastian Silva privilégie la proximité avec ses acteurs, se rapprochant ainsi d’une certaine manière des travaux bien connus dans nos contrées de Maurice Pialat ou de Maïwenn. En dressant le portrait en crise de Raquel, la Nana bonne à tout faire au seuil de la dépression, le cinéaste pose des pistes de réflexion sur la notion de travail, sa place dans l’existence, l’impact qu’il peut avoir sur notre propre psyché.


Dès l’ouverture, quelque chose semble détraqué, instable. La famille s’apprête à fêter gentiment l’anniversaire de Raquel, mais cette dernière, isolée dans la cuisine, refuse de venir dans le salon. La Nana ne fait pas le poids cependant face à la pression et se trouve forcée de s’attabler avec la famille, dont elle s’imagine être un membre à part entière. Les plans sont très découpés et la caméra ne capte à chaque fois qu’un ou deux personnages en même temps. Aucun plan d’ensemble de la famille réunie ne vient marquer un épisode supposé joyeux et convivial. Raquel apparaît mal à l’aise et l’anniversaire ne dure pas. Le père sort de table et rompt très rapidement avec le cérémonial. Ce qui pourrait être le signe d’une reconnaissance, sorte de rétribution symbolique pour ses années de service, se transforme en une phase de stress, Raquel ne sachant pas vraiment où est sa place dans ce simulacre festif. Dès les premières minutes, le film peut ainsi s’inscrire dans une lecture psychologique du travail.


Quelques instants plus tard, Raquel fait la vaisselle en compagnie de la mère, son employeuse. La caméra est positionnée du côté de l’employeur, écrasant par l’image Raquel, au moment précis où son interlocutrice lui propose d’engager une personne supplémentaire. Ce qui semble une offre sympathique pour aider une Raquel visiblement fatiguée (la femme venant d’avaler des pilules pour des maux de tête) se révèle vite une nouvelle menace puisque la Nana n’a finalement pas son mot à dire. Le malaise enfle. Le stress face à des enfants devenus adolescents, l’impossible coopération avec ses supérieurs et l’illusoire rétribution sont quelques clefs pour comprendre l’état pathologique dans lequel se trouve Raquel.

Le film se développe alors dans un rythme ternaire construisant l’évolution du personnage. Trois femmes se succèdent pour le poste d’aide ménagère. La première est jeune et enthousiaste. Elle apparaît d’emblée comme une menace pour Raquel. La deuxième est une vieille nounou aguerrie et légèrement aigrie qui sépare clairement son métier de sa vie et refuse de voir en la famille d’employeurs autre chose qu’une tâche, vision du travail à laquelle Raquel ne peut adhérer. La troisième s’inscrit dans un juste équilibre, prête à s’investir sans se laisser détruire par ses employeurs, comme en témoigne son arrivée. Alors qu’elle débarque, la jeune femme se fait apporter un verre par une des filles de la maison. Ce geste fort montre un patron se mettant au service de son employeur, qui marque ainsi une limite dans les rapports de pouvoir. La troisième va permettre à Raquel de sortir de la crise en lui apportant un modèle de travail équilibré. Pour les trois postulantes, la même épreuve leur est infligée par Raquel qui ferme la porte d’entrée à clef lorsque l’autre sort pour une raison inopinée et les laisse se débrouiller. Ces passages assez drôles révèlent trois caractères bien différents. La première se pose en victime, la seconde résiste avec férocité, tandis que la dernière adopte une stratégie désarmante qui surprend Raquel et adoucit sa défense. Trois sorties hors de la maison ponctuent également le récit de Raquel : la première forcée par la famille qui souhaite que la nounou s’aère mais qui visiblement n’y prend aucun plaisir, la seconde accompagnée de la troisième postulante et la dernière seule venue d’une décision personnelle en signe d’une reprise de pouvoir sur sa vie et sur son corps.


Le corps dans La Nana témoigne d’une crise psychique. Outre la fatigue, les maux de têtes et les évanouissements, Sebastian Silva insiste sur les scènes dans la salle de bain où Raquel se lave avec vigueur puis nettoie à la javel la moindre parcelle de la pièce. D’une certaine manière, il s’agit de figurer Raquel détruisant son propre corps, tentant de l’oublier et de l’annihiler. Les dérèglements du travail s’attaquent ainsi progressivement à l’individu psychiquement et physiquement, laissant envisager derrière cela une tentative d’oubli de sa propre individualité. Pour vaincre la solitude, la désolation ou la perte d’identité, Raquel doit retrouver confiance en elle. L’incursion de la troisième postulante est une solution extérieure de poids car elle permet d’aider Raquel à construire une coopération dans le travail, des stratégies de défense contre le stress et la pression patronale de manière positive et de reconquérir son corps comme notamment le laisse présager la dernière sortie hors de la maison. Dans son exploration de la crise psychologique au sein du travail, Sebastian Silva opte pour une résolution optimiste, donnant ainsi à son film une tournure lumineuse salutaire, ce qui évite notamment l’effet dénonciateur lugubre.


Cet optimisme teinté d’humour noir dans l’investigation des troubles de ses personnages, Sébastian Silva le réemploie également dans son troisième long métrage, Les Vieux Chats, où une vieille femme doit affronter la maladie d’Alzheimer naissante et le retour de sa fille lesbienne avec laquelle elle entretient une relation conflictuelle. La fille veut faire signer à sa mère une autorisation pour vendre son appartement, ce que la vieille refuse. La maladie l’effraye cependant et elle tente de la cacher pour que sa fille ne puisse s’en servir comme un argument pour prendre le pouvoir. La tension monte, le contrôle de la situation se dérobe et la crise se durcit. Silva témoigne à nouveau d’une envie de mettre en avant le travail avec les comédiens. Il sera ainsi intéressant de voir si le passage à la langue anglaise du cinéaste avec son prochain film Crystal Fairy (mettant notamment en scène Michael Cera), confirmera ce talent de direction d’acteurs et d’observateur de la psyché humaine.

Emeric     


Quelques citations de la presse : 

Le JDD, Alexis Campion : 
« Excellente comédienne dans le rôle-titre, Catalina Saaverda est connue au Chili pour ses personnages comiques au théâtre et à la télévision. Dans ce rôle complexe et poignant, parfois effrayant mais non dénué de pointes d’humour, elle est magistrale. »

Les Inrocks, Serge Kaganski :

« Que l’on regarde l’originalité de son sujet, le déroulé de son récit (on ne sait jamais trop où l’on nous emmène), la virtuosité modeste et non apprêtée de sa mise en scène, ou la qualité de ses acteurs, pas de doute : cette Nana-là mon vieux, elle est terrible !»

http://www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/la-nana/


Le Monde, Jacques Mandelbaum

« La Nana, deuxième long métrage du jeune réalisateur Sebastian Silva, nous plonge à son tour au coeur de cette relation trouble, sans manichéisme aucun, en même temps qu'il nous envoie, par son indéniable réussite, le signe que quelque chose d'intéressant se passe aussi, désormais, dans le cinéma chilien, après la découverte de l'admirable Tony Manero (2009), de Pablo Larrain. »


Quelques liens pour aller plus loin :  

Entretien Fluctuat : https://www.youtube.com/watch?v=1jhvKhMM4Ao 

Interview de Sébastian Silva : http://www.vlaff.org/en/node/3029

Interview :  http://www.youtube.com/watch?v=F0Wu96LwpUY

Télérama : http://www.telerama.fr/cinema/films/la-nana,388583.php

 
Site officiel : http://www.themaidmovie.com/

Article : http://twitchfilm.com/2007/10/la-vida-me-mata-life-kills-me-review.html  

mercredi 24 octobre 2012

Beau Travail – Claire Denis - la crise du Légionnaire

 
Beau Travail, c’est une adaptation lointaine du Billy Budd, marin, d’Herman Melville (le célèbre auteur de Moby Dick), d’où est également tiré l’opéra du même nom de Benjamin Britten. Dans la nouvelle de Melville, le capitaine d’armes John Claggart, fou de jalousie, s’emploie à causer la perte du jeune marin Billy Budd, au charme surnaturel, qui s’est attiré les faveurs de l’équipage et de son capitaine, Vere. Claire Denis s’inspire de cette trame, en reconstituant, au milieu de sa troupe de légionnaires, le triangle central : l’adjudant-chef Galoup, férocement interprété par Denis Lavant, tout en énergie et frustration contenues ; son commandant Bruno Forestier (Michel Subor), tout droit tiré du Petit Soldat de Godard (1963), en ayant conservé son nom, sa gourmette, le visage plus marqué et les cheveux plus blancs ; et Gilles Sentain (Grégoire Colin), le fabuleux légionnaire, droit, courageux, humble ; aimé de ses camarades, haï par Galoup.




Beau Travail se présente sous la forme d’une fable, ponctuée par des extraits de l’opéra de Britten. Le corps des légionnaires devient ballet, les danses et les gestes rythment la progression en apparence implacable du récit. Les airs d’opéra, graves, profonds, donnent à l’affrontement entre Sentain et Galoup une dimension brutale, fascinante, presque mythologique. Les corps à demi nu rappellent les chœurs antiques, ils marquent les étapes clés de ce qui s’annonce comme une tragédie.
 
C’est à Galoup, à ses souvenirs que nous devons le film. Retiré à Marseille, il évoque sa vie dans la légion, à Djibouti ; il nous emmène dans sa rêverie, peuplée des corps sveltes des légionnaires, rythmée par la routine qu’il aimait tant : entraînements, gardes, lessives, sorties… jusqu’au jour où l’élément perturbateur de son monde, « un type qui n’avait rien à faire là », arrive par un avion de France.



 

Galoup est tourmenté. Il jalouse le nouveau venu, Gilles Sentain, qui se distingue du groupe aux yeux du commandant Forestier par sa bravoure et passe pour un saint, véritable don du ciel. La haine de Galoup s’accroit, il met en place sa vengeance contre l’innocent : une punition injuste, une boussole déréglée, et l’abandon dans le désert de sel.

Inspiré des poèmes de Melville, Beau Travail est à sa manière un poème de cinéma. Les dialogues sont rares, les premiers échanges directs ont lieu au bout de vingt minutes de film. La voix off de Galoup, économe, se mêle aux corps et aux lieux (la ville de Djibouti, le désert, la Mer Rouge) ; à la musique (celle de Britten, de Neil Young, des boîtes de nuit), et nous entraîne dans son monde, au gré d’une caméra toujours placée à l’endroit qui fera sens. La narration est plastique ; ce sont les lignes, les mouvements qui se chargent de porter le récit, de façon visuelle, sensuelle.



Les légionnaires s’entraînent rudement, pourtant leur combat est intérieur. Galoup se sent seul ; Sentain, est orphelin ; Forestier contemple son reflet, seul face au miroir. Trois volcans entourent le campement provisoire établi par Galoup et ses hommes, qui doivent bien « transporter tous une poubelle au fond d’eux », veut se rassurer Galoup, tandis qu’il perd pied. Les face-à-face succèdent aux scènes de groupe. Des moments irréels traversent le film, pourtant ancré dans une certaine réalité sociétale, presque politique, celle des vestiges de la présence française à Djibouti. A l’aube, les soldats portent l’un des leurs en triomphe dans les rues de la ville (scène directement tirée du récit de Melville), traversées au même moment par un Galoup fantomatique, en chemise noire –peut-être homme qu’il aurait rêvé d’être, dans une autre vie ?

A l’origine du projet, une commande d’Arte, sur l’Etranger. Claire Denis pense alors à « légion étrangère », et l’imagine à l’Est de l’Afrique, du côté de Djibouti. Elle a passé son enfance en Afrique, c’est un continent qu’elle revisite dans beaucoup de ses films –de Chocolat, son premier long-métrage (1988), situé au Cameroun, à son dernier en date, White Material (2009), situé « quelque part en Afrique », dans un lieu imaginaire. Dans Beau Travail, la caméra d’Agnès Godard capte les corps dans leurs mouvements d’ensemble chorégraphiés par Bernardo Montet (également l’un des légionnaires), et ils s’inscrivent, de manière presque indissociable, dans l’immensité désertique, où l’on imagine sentir la chaleur sur les corps, le vent dans les herbes rares, le sel de la mer. Le groupe hétéroclite, constitué de véritables légionnaires, de danseurs, d’acteurs –dont certains apparaissent régulièrement dans la filmographie de Claire Denis (Grégoire Colin, Nicolas Duvauchelle)-- s’est constitué et soudé au cours d’un important travail de répétition, en amont du tournage. La caméra les suit au plus près, de manière simple et élégante, faisant vivre le cadre, nous embarquant à leurs côtés. 



La menace pèse, les tensions sont nombreuses. Un hélicoptère explose en plein vol, c’est un accident, qui cause une victime pourtant. Sentain se blesse au pied. Galoup inflige à l’un de ses hommes une dure punition. Les légionnaires parcourent les rues de la ville de Djibouti, comme des intrus ; ils tranchent avec la population, par leur démarche, leurs uniformes qui crient leur différence. Les soldats construisent une route, les Djiboutiens les scrutent, les regards sont parfois tranchants mais personne ne passe à l’acte. Si les légionnaires se battent, c’est entre eux, autour d’un feu de camp. A la danse et aux chants succède le combat. Ces deux aspects coexistent d’ailleurs tout au long du film. Galoup danse, avec Sentain ils exécutent une ronde menaçante, tendue par un regard de haine, mais aussi de désir. Galoup semble être en proie à une dure lutte intérieure, qu’il taira aux légionnaires comme aux spectateurs jusqu’à sa danse finale, libératoire –peut-être enfin débarrassé de la pesanteur qui caractérise les vivants ? Quoi qu’il en soit, le flot de son énergie contenue explose, il exécute cette danse en solitaire, irréelle, et sans témoins, comme en écho aux danses du début qui mêlaient légionnaires et danseuses djiboutiennes. 




Le lieu est si fort, si présent, que les personnages semblent se dissoudre en lui. En l’absence de dialogues écrits, les acteurs se laissaient habiter par les décors naturels. Les chorégraphies également se mettaient vraiment en place sur les lieux du tournage. Dans le récit, les hommes et leurs actes sont souvent représentés par des signes, des symboles. Après la gourmette de Forestier, la boussole de Sentain, aussi dangereuse qu’une grenade. Sentain disparaît, ne laissant derrière lui que cette boussole défectueuse trafiquée par Galoup. Cette boussole, c’est un peu lui, réincarné dans le paysage.

Contrairement à ce que l’on pouvait croire, l’issue du film n’est pas réglée d’avance. C’est l’incertitude, la possibilité d’un espoir, ou l’imagination pure qui le font dévier de sa trajectoire tragique –certes, vers une autre, pas forcément plus heureuse. Le point de vue de Galoup narrateur a ses limites ; la caméra nous donne à voir des choses dont il n’a pu avoir connaissance directement, ou qu’il imagine peut-être, on ne le saura pas avec certitude. Comme dit Galoup, tout dépend du point de vue. Le film épouse un certain point de vue et nous suggère la richesse des autres possibles. Rien n’est figé.

Claire

 
Liens :

Critiques du film :
· Critique des Inrocks :
« Beau travail est un objet filmique captivant de bout en bout, une preuve superbe et tangible de cinéma comme art de l’altérité, une manifestation supplémentaire de la puissance d’expression et de la singularité du talent de Claire Denis. » (Serge Kaganski)

· Critique de Chronicart :
« Grâce à Claire Denis, les lieux et les corps qui les habitent ont recouvré leur juste dimension, celle d'éléments signifiants, et, en l'occurrence, sublimés par le regard d'une grande artiste. » (Yann Gonzalez)

· Critique de Libération :
« Si Beau Travail est si beau, c'est que le plus calmement du monde il touche du doigt ce qui nous travaille, nous fissure (l'obsession, la mémoire, la mort annoncée) et lentement nous désagrège. » (Jean-Marc Lalanne)

· Critique de Télérama :
« Rêverie libre et intense, Beau Travail enjambe donc souvent le fil du récit pour capter les sensations contradictoires d'êtres humains qui n'ont trouvé qu'un moyen de calmer leur cerveau effaré : fatiguer leur corps. » (Marine Landrot)

· Critique de l’Express :
« Beau Travail, de Claire Denis (J'ai pas sommeil), est un requiem laconique pour un corps d'armée finissant - les légionnaires cassent des cailloux car ils n'ont pas de guerre à faire - un poème godardien, d'après Herman Melville, sur la physique et la chimie des corps. » Sur Bernardo Montet :

· Critique du New-York Times :
« Although the films of Claire Denis have always displayed a cool, vaguely hallucinatory appreciation of the surfaces of the world, none of this gifted French filmmaker's previous work has prepared us for the voluptuous austerity of ''Beau Travail.'' » (Stephen Holden)

· Critique du Guardian :
« Never for one moment does this shimmering, simmering emotional desert storm of a film relax its grip on your senses. » (Peter Bradshaw)


Articles sur le film :

· Texte de Jean-Luc Nancy dans Vacarme : « Paradoxe - qui appartient à Claire Denis, et qui doit peu à Melville, ou que Melville exploite peu : celui qui perd le sauveur appartient à l’ordre impeccable - c’est le cas de le dire ! - que la Légion symbolise ici : ordre de l’armée ou ordre monastique (l’équivalence est posée dans Melville), ordre rituel (tout le film est scandé par les figures d’un rite, ses chants, ses marches, ses observances), ordre enfin de beauté accomplie, puissante et harmonieuse, dont les corps des hommes sont ici l’incarnation. » (Jean-Luc Nancy)

· Long post de Jonathan Rosenbaum, critique emblématique du Chicago Reader de 1987 à 2008 :
« I know it sounds fancy to say this, but the difference between Claire Denis’ early work and Beau travail, (…) is quite simply the difference between making movies and making cinema. » (Jonathan Rosenbaum)

· Série d’articles sur différents films de Claire Denis dans Kino-Eye : articles sur Beau Travail, Chocolat, Trouble Every Day, J’ai pas sommeil. « Her powerfully emotional films are filled with literary references and the sorts of marginalised characters usually absent from mainstream cinema. »

· NY Press : «  Beau Travail’s Frantz Fanon-meets-Antonioni rigor is alive with thought. » (Armond White)  

Entretiens avec Claire Denis :

· Dans Vacarme avec Jean-Philippe Renouard & Lise Wajeman : «  J’ai toujours eu de la méfiance — pour moi, pas pour les autres — vis-à-vis des films où la dynamique dramatique se réduit à l’opposition du Bien et du Mal. » (Claire Denis)


· Dans The Guardian avec Jonathan Romney : « for me, cinema is not made to give a psychological explanation, for me cinema is montage, is editing. » (Claire Denis)

· Pour Allociné, sur l’origine du projet :


Influences :

· Billy Budd, Sailor, d’Herman Melville : le texte original de la longue et ultime nouvelle du poète, en anglais :

· Traduction de deux poèmes de Melville qui ont inspiré Claire Denis :

Marche de nuit

Drapeaux roulés, clairons muets,
Une armée passe dans la nuit ;
Lances et casques saluent le soir.
Les légions ruissellent sans bruit,
Marchant librement, en bon ordre,
Ruissellent et luisent dans l'immense plaine,
Point de chef que l'on ne puisse voir

De l'or dans les hauteurs

De l'or dans les hauteurs
Et de l'or dans le val,
La convoitise au cœur,
Pour le ciel nulle part
Pour l'homme nul bonheur

· Quelques extraits de l’opéra Billy Budd de Benjamin Britten :

· Les films de Léos Carax, proche de Claire Denis. Pola X notamment, également une adaptation de Melville, Pierre ou les Ambiguïtés, est produit la même année (1999). On y retrouve Katerina Golubeva, également présente dans J’ai passommeil (1994) et L’intrus (2004) de Claire Denis, ainsi que plusieurs des collaborateurs habituels de la cinéaste (Jean-Pol Fargeau au scénario ; Nelly Quettier au montage). Denis Lavant, rôle principal de Beau Travail, est aussi l’acteur principal de presque tous les films de Carax. La scène finale de Beau Travail est une référence explicite à la danse acrobatique de Denis Lavant dans Mauvais Sang (1986).

· Le Petit soldat, de Jean-Luc Godard (1963). Sur fond de guerre d’Algérie, une source d’inspiration majeure pour la cinéaste, directement à l’origine du personnage de Michel Subor, Bruno Forestier.

· Querelle, la célèbre adaptation du récit de Jean Genet par Rainer Werner Fassbinder (1982). Dans Querelle de Brest, le roman de Jean Genet (1947), les extraits des carnets du lieutenant Seblon, qui font penser à ceux de Galoup, sont mêlés aux aventures de Querelle. Tandis que le film de Fassbinder est centré sur Querelle, le matelot objet du désir, le film de Claire Denis se focalise sur les émotions de Claggart (Galoup), et non Billy Budd (Sentain).